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Je suis glas, glace de toi, 2020

Je suis glas, glace de toi de Clyde Hestanoff, l'oeuvre-mirroir.

L'oeuvre numérique Je suis glas, glace de toi de Clyde Hestanoff vaut moins pour lui-même, que sur ce qu’il nous apprend de nous et de nous regardant un écran.

L'oeuvre paraît au premier abord futile et légere, banale aussi dans le sens du familier. Mais rien ne paraît être ce qu'il est. C'est là, la force de l'art !

Ce site internet se présente comme un jeu. Dans Je suis glas, glace de toi, le spectateur est invité à entrer d'un click. Sur l'écran, les messages défilent si vite du haut vers le bas, qu'il nous est impossible de les lire. Mais d'un click encore, ce fil infernal peut s'arrêter. Soudain, cinq secondes se décomptent. Une lecture hasardeuse commence. Par fragments, nous découvrons un échange de messages. Puis, hop !, la roulette continue sa route infinie. Et ainsi, la manipulation se répète selon les désirs du spectateur, sa curiosité, sa patience et son envie de jouer.

Ce qui est familier d'abord, c'est ce geste que nous propose de faire l'artiste, celui de toucher l'écran, jeu de main que l'on fait volontiers tous les jours sur nos téléphones. Si Hestanoff reprend la relation avec cet objet quotidien de nos vies, il s'approprie aussi l'esthétique. Sur un fond gris s'enchainent des messages dans des bulles bleues et blanche. L'artiste se contente de s'emparer de l'image de nos téléphones comme d'une image tout faite, comme d'une image porteuse de sens, refusant les effets visuels virtuoses. L' échange nous paraît alors réel, et par là, l'expérience ordinaire.

Cette apparence d'ordinaire, de futile est le profond et la gravité de l'oeuvre même car il fait advenir un renversement. Nous entrons dans le réel de ces messages. Notre curiosité quasi malsaine dénude la supposée vérité qu'on nous sert. Nous déflorons l'intime, satisfait de lire «J'ai envie de toi». Puis peut-être pouvons-nous ressentir de la gêne quand nous découvrons ces mots « Tu m'emmerdes à tout prendre pour toi ».

Puis, Click ! Click ! Click Encore ! L'artiste nous donne le choix. Mais nous avons l'oeil dans le viseur, dans le trou de la serrure, qui est bien plus ici : une fenêtre ! Nous avons ouvert une fenêtre, geste devenu si banal, qui habituellement nous donne des nouvelles du monde, mais là qui se retournent contre nous. Par un curieux truchement, l'oeuvre devient miroir et nous reflète notre propre regard complice de l'exhibitionnisme de notre société. Soudain l'oeuvre nous regarde et devient miroir. Dans ce miroir, nous nous voyons voir.

Mais quelque chose d'encore plus profond se cache derrière cette œuvre. Certes nous nous voyons voir, mais simplement nous nous regardons dans ce miroir. Et ici, se regarder dans un miroir n'est pas une activité narcissique, elle se couple avec l'idée de temps omniprésente dans l'oeuvre. Je suis glas, glace de toi est bien plus une œuvre sur le temps que sur l'intimité. Tout y appelle le temps ! La boucle infinie de cette roulette,  la durée irréversible, puis le temps que nous pouvons arrêter, le décompte. Les mots deviennent des secondes et préfigurent la mort d'une histoire d'amour, mais au-delà la mort tout court.  

Dans cet oeuvre-mirroir nous nous regardons mourir. Nous sommes glas, cette sonnerie de cloche signalant l'agonie, la mort; glace de nous, froid comme la mort.  « Regardez-vous toute votre vie dans un miroir et vous verrez la mort travailler sur vous" écrivait Cocteau à ce sujet.

Julie Gil

Je suis glas, glace de toi (2020)

Site internet - temps infini

Création & visual: Clyde Hestanoff

Développement: Guillaume Jacquart

Text: Julie Gil & Jeremie Rak

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